Les big data vont révolutionner la sécurité aérienne

La gamme Airbus, de l’A320 NEO (New Engine Operation) jusqu’à l’A380 à 2 étages

Ceux qui suivent ce blog savent qu’il existe 4 générations de sécurité aérienne que l’on peut résumer comme suit :
– la première génération qui a commencé avec la création des moteurs à réaction,
– les avions de 2ème génération avaient quelques automatismes très basiques,
– la 3ème génération a vu le déploiement du Flight Monitoring System donnant aux pilotes des informations sur la situation (trajectoire, consommation de carburant) ainsi que le remplacement des traditionnels cadrans par des écrans,
– la 4ème est apparue à la fin des années 80 avec la capacité des avions à refuser de se mettre dans des situations dangereuses, c’est ce qu’on appelle la protection du domaine de vol.
La sécurité continue bien sur à être améliorée à chaque sortie de nouvel appareil, mais il n’y a en réalité plus eu de rupture technologique majeure depuis presque 30 ans… Aujourd’hui, la big data pourrait être à l’origine de cette 5ème génération de sécurité aérienne !

Les anciennes génération d’avions ne comportaient pas d’écrans et les systèmes étaient bien plus rudimentaires…

Les avions sont capables de s’auto-diagnostiquer depuis les années 70 et peuvent envoyer des messages de mauvais fonctionnement via des communication satellite depuis les années 80 (le système ACARS). Si un Airbus A320 détecte que l’une de ses 3 sondes d’incidence a dysfonctionné pendant quelques secondes, un message va être envoyé au centre opérationnel de la compagnie et une équipe d’inspection va attendre l’avion dès l’atterrissage. Cela permet de ne plus passer à côté d’un incident (même infime) et fait gagner du temps puisqu’il n’est plus nécessaire d’attendre que les pilotes ne fassent leur rapport. Au final, l’avion est mieux maintenu et il peut repartir plus rapidement lorsque tout est réglé.

Mais il y a en fait de nombreux autres paramètres a priori anodins qui sont disponibles, ils sont notamment enregistrés dans la boite noire appelée FDR mais jusqu’ici pas systématiquement analysés : accélérations subies, actions sur le manche, vibrations, régime moteur, intensité du freinage, tension électrique, évolutions de l’appareil… La boite noire n’étaient exploitée qu’en cas d’incident ou d’accident, mais ces données de vol sont désormais exploitables à chaque vol grâce à Safran, géant française de l’aéronautique. En 2015, l’industriel a commencé à déployer un systèmes de surveillance de l’état des avions appelé ACMS (pour Aircraft Condition Monitoring Systems) aujourd’hui disponible pour tous les Airbus. Celui-ci centralise les millions de données issues de tous les capteurs de l’appareil puis les transmet automatiquement au centre des opérations de la compagnie aérienne où un logiciel baptisé Cassiopée va pouvoir les analyser et en tirer des conclusions.

Cela n’a l’air de rien, mais il s’agit d’une vraie révolution ! Auparavant, l’avion n’alertait qu’une fois un problème détecté, et désormais l’analyse des millions de paramètres d’un vol permet de prévenir la survenue d’une panne, d’anticiper une vérification ou de comprendre les causes d’un incident. Surtout que l’analyse ne portera pas que sur l’avion et le dernier vol, mais intégrera également les paramètres externes (météo, membres d’équipage, plan de vol…) et permettra de comparer l’incident avec des cas comparables sur tous les vols de la compagnie.

Capture d’écran du logiciel Cassiopée d’analyse des vols, avec un « résumé » de 10.600 atterrissages sur un aéroport…

Prenons l’exemple d’un atterrissage un peu rude sur un aéroport. Le pilote est arrivé un peu plus rapidement que prévu sur la piste malgré une approche conforme aux procédures. L’avion a touché ses roues plus tard que prévu et le pilote a plaqué son avion au sol d’une manière plus brusque que d’habitude : c’est ce qu’on appelle un hard landing. L’ACMS récolte puis envoie les données du vol aux logiciels qui analysent la situation. Le système explique les causes de cet atterrissage « dur », mais il remarque surtout qu’une telle situation est survenue 3 fois aux avions de la compagnie dans les 12 derniers mois sur cet aéroport… Une répétition tellement rare que personne ne l’aurait remarquée par le passé ! Les procédures d’approche sur cet aéroport peuvent dès lors être adaptées pour réduire l’éventualité d’un autre atterrissage « dur », ce qui rend moins probable de nouveaux incidents (meilleure sécurité) et évite de futures visites de maintenance (efficacité des opérations et réduction des coûts). Il est tellement performant qu’il permet même de réduire les émissions de CO2 !

L’ACMS équipe déja 10.200 avions dans 280 compagnies et a permis l’analyse de 30 millions d’heures de vol. Il permet par exemple d’obtenir ce type de statistiques :

Sur 6 mois, les avions de cette compagnie ont connu des approches instables dans un peu plus de 1% des vols, un taux de descente au-dessus de la norme dans 0,5%, une vitesse trop élevée sous le FL100 dans 0,3%… Rien d’exceptionnel car les marges de sécurité sont très importantes, mais on peut ainsi voir les dérives avant qu’elles ne deviennent problématiques.

Vous l’aurez compris, cette 5ème génération de sécurité aérienne est silencieuse, elle se fait sans vague. Jusqu’à présent, on tentait d’améliorer la réaction de l’avion et des pilotes face à une situation, mais désormais on fait en sorte d’éviter la survenue de l’incident. D’ici quelques années, il est donc fort probable que nous puissions mesurer une nouvelle amélioration des statistiques de la sécurité aérienne pour les compagnies et les avions équipés…


Merci aux équipes de Safran sur Twitter pour les échanges

À propos de Xavier Tytelman

Ancien aviateur militaire aujourd'hui consultant sur les questions aéronautiques. Responsable et formateur au Centre de Traitement de la Peur de l'Avion (www.peuravion.fr). Tel : +33667484745
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