Vous le savez peut-être, je décrypte de temps en temps la manière dont les médias traitent l’actualité aéronautique. Dans le cas du crash AH5017, les médias savent déja ce qu’ils veulent entendre, internet sait que les médias mentent, et on a la chance de voir des hommes politiques (et pas des moindres !) énoncer des contre-vérités. Décryptage.
1) La parole politique
Dès le premier soir, le Président de la République dénonce la météo comme « la cause la plus probable du crash », info allégrement reprise et amplifiée par tous les médias. Que l’on me donne un exemple d’un avion de ligne civil bien entretenu qui s’est craché pour une simple cause météo alors qu’il volait à son altitude de croisière, même en entrant dans un cumulonimbus. Cherchez bien il n’y en a pas. Par contre, des histoires de pilotes qui sont entrés par erreur dans un cumulonimbus (ou Cb) et qui racontent qu’ils ont été secoués, vous en trouverez des centaines. D’ailleurs, le fait qu’ils soient encore là pour raconter l’expérience prouve qu’ils ne se sont pas crachés.
Le ministre des Affaires Étrangères affirme ensuite que les pilotes auraient demandé l’autorisation d’éviter une zone orageuse. Si un pilote se rend compte qu’il entre dans une zone orageuse, il ne va rien demander à personne, il va éviter la zone puis ensuite annoncer qu’il a fait un virage. Cette formulation donne l’impression que les pilotes ont demandé et pas forcément obtenu une autorisation d’évitement du Cb. Les avions ont pour obligation réglementaire d’éviter les zones orageuses, ils le font grâce au briefing météo qui leur permet d’adapter leur trajet à la situation, puis à leur vue (même la nuit, un nuage d’orage se voit à au moins 100 km !), grâce à la communication radio entre les avions qui s’avertissent les uns les autres de ce qu’ils rencontrent, et bien sur au radar météo et aux images satellites. Bref, on a les moyens d’éviter les Cb et en cas d’urgence, on l’évite avant de parler.
2) Internet en pointe sur l’enquête
Outre quelques internautes qui font un travail remarquable (suivez mon ami virtuel @OlivierRimmel et sa team de limiers, ils inspectent les débris photo après photo, c’est réellement impressionnant et je suis heureux de les suivre pour prendre du recul), il faut avouer que les rumeurs vont bon train et les théories du complot sont en solde.
D’après internet, l’avion transportait une trentaine de militaires français accompagnés de hauts responsables du renseignement ainsi que des chefs du hezbollah déguisés en hommes d’affaire, eux même accompagnés de leurs gardes du corps. Mais qui peut croire que la mort de 30 militaires français revenant de mission pourrait être cachée ? Au contraire, pour les complotistes, le fait que les médias ne reprennent pas l’info (information de source anonyme venant de la presse algérienne) prouverait justement qu’elle est valable… et ce sont alors les islamistes qui ont fait exploser l’avion. Et pour ceux qui soutiennent que des membres du hezbollah étaient à bord, alors c’est un coup des services secrets israéliens.
Autre sujet, l’une des deux boites noires semble être plus abimée, il s’agit de celle contenant les échanges dans le cockpit. Ceci est une preuve supplémentaire que l’on veut cacher la réalité. Mais bien au contraire ! S’il reste l’enregistreur de vol technique, celui-ci contient un millier de paramètre enregistrés en continu, et c’est bien ces données qui vont donner des réponses quant à un éventuel dysfonctionnement ou à une manœuvre que les pilotes auraient pu ne pas comprendre ! S’il y a bien une boîte noire à garder, c’est celle-ci !
Dernier point : d’après Twitter, le fait que l’on ne retrouve presque rien de l’avion est la preuve que l’on nous cache tout et que l’on ne cherche pas au bon endroit. Sauf qu’il y a des précédents d’accidents dans lesquels les débris restants sont infimes au vu de la taille d’un avion : le Concorde pour lequel il ne restait que quelques morceaux de moteur, et le vol 93 de la United que les passagers avaient volontairement projeté dans une prairie à très grande vitesse afin d’éviter un attentat supplémentaire le 11 septembre 2001. Pour l’AH5017, les militaires sont apparemment en train d’acheminer sur place des engins de déblaiement afin d’extraire les restes de l’avion. Soyez sûrs que certaines morceaux parmi les plus durs, dont les moteurs, seront mis à jour prochainement s’ils n’ont pas été retrouvés à la surface. Accessoirement, si on a retrouvé les boites noires à cet endroit, j’ose penser que l’avion est bien là.
3) Les médias
Les gentils spécialistes qui se succèdent sur les plateaux (et donc j’ai l’honneur de faire partie) sont littéralement pressurisés par le tempo médiatique que tout le monde subit, aussi bien les journalistes qui ne font que leur travail d’information, mais aussi par la population qui ne peut accepter de prendre l’avion sans réponse sur cette situation. Il doit exister une certitude absolue que la sécurité du vol que vous prendrez demain est totale. Chaque éventualité est donc triturée, mais ce sont les idées les plus anxiogènes pour les personnes sensibles à l’aviation qui sont les plus présentes à l’antenne. Voici quelques informations que vous pourrez retenir avant de regarder la télé :
– un cisaillement de vent (vent qui monte et descend vite dans un nuage) ne renverse pas un avion la tête en bas, même si c’est théoriquement possible dans un Cb ;
– les turbulences ont beau être parfois désagréables, elles ne présentent aucun risque pour la sécurité de l’avion. Dans un Cb, les accélération subies par l’appareil sont les plus fortes. Un moyen-courrier comme l’A320 est conçu pour subir des accélérations jusqu’à 2,5G. S’il dépasse ce facteur de charge, ce qui n’est possible en vol qu’en cas de turbulence extrême, alors il devra se poser et ne pourra repartir qu’après une inspection réalisée par le constructeur Airbus lui-même, et la compagnie qui possède l’avion n’aura pas son mot à dire ;
– des centaines d’avions réalisent des évitement de Cb chaque jour, c’est tout à fait classique et normal pour un pilote ;
– un avion qui a 18 ans n’est pas vieux s’il est bien maintenu :
– l’âge d’un avion n’influe pas sur la sécurité du vol, mais influe sur son pilotage. Avec un radar météo moderne, on peut voir les nuages cachés derrière les nuages. Cela permet donc de s’engager dans un couloir ou de savoir s’il faut totalement éviter une zone orageuse. Dans le premier cas, on gagne du temps et du pétrole en assurant une sécurité totale. Si l’avion et son radar sont plus anciens, il faudra contourner les masses orageuses d’une manière plus large, rien de plus.
4) Mon analyse (merci à JC et aux autres pilotes pour le brainstorming)
Je vais partiellement reprendre le contenu de mon article précédent pour cette partie, car une fois de plus, tant que les enregistreurs de vol n’auront par parlé, on ne saura rien avec certitude.
1) Il n’y a que deux possibilités pour la destruction d’un avion, soit il explose en vol et libère des débris sur une large zone, soit il arrive entier jusqu’au sol et les débris sont alors ramassés sur une zone réduite. Dans notre cas, les débris se trouvent dans un périmètre réduit de seulement 300 m de côté, on est dans le deuxième cas.
2) Dans cette zone réduite, les débris sont tellement petits que presque aucune partie de l’avion n’est reconnaissable. On peut donc en conclure que l’avion est arrivé au sol avec une vitesse très élevée, celle d’un vol de croisière.
3) si l’avion volait si vite vers le sol, il y a 3 possibilités :
– soit les commandes de vol étaient bloquées vers le bas, en raison d’un problème technique (peu probable sur un avion entretenu en Europe et vérifié en France il y a une semaine) ;
– soit l’avion a volontairement été projeté vers le sol, une situation que je n’arrive pas à imaginer avec deux pilotes compétents aux commandes et la porte du cockpit blindée ;
– soit les pilotes ne se sont pas rendus compte qu’ils s’approchaient du sol, c’est ce que l’on appelle la désorientation spatiale du pilote. Le cumul d’une fatigue importante des équipage révélée par un mail envoyé à la direction de la compagnie SwiftAir par un stewart, le manque de visibilité lors d’un vol de nuit et des turbulences extrêmes qui empêcheraient de lire correctement les instruments pourraient provoquer une mise en descente involontaire de l’avion alors que celui-ci essaye de sortir du Cb… Mais on n’est pas sur un facteur météo unique comme on le répète allégrement.
Encore une fois, ne confondez pas ces situations avec celles que vous pourrez rencontrer dans vos voyages.
– aucun nuage n’atteint cette importance en dehors des zones de convergences intertropicales, et on évite tous les jours des Cb dans cette zone sans difficulté ;
– si une zone est trop orageuse, l’avion pourra changer de destination voire même se poser sur un aéroport de déroutement (les avions décollent toujours avec 2 à 3h de pétrole supplémentaire par rapport à ce qui est nécessaire sur leur trajet, à quoi ils rajoutent encore des réserves selon les prévisions météo… ils ont donc le choix des destinations et peuvent contourner des zones très larges) ;
– si vous décollez depuis ou à destination de l’Europe, votre avion a forcément été maintenu dans des conditions optimales. Si un contrôle n’a pas été fait sur une compagnie extra-européenne, alors l’avion peut se trouver cloué au sol, ce qui coûte tellement cher qu’aucune compagnie ne tente d’éviter une étape de maintenance. Si la compagnie est européenne, un manquement volontaire à une obligation de maintenance peut provoquer une inscription sur la Liste Noire des compagnies interdites de survol de l’Europe, ou en d’autres terme, la faillite assurée ;
– les pilotes respectent des amplitudes horaires maximales strictes avec des repos obligatoires. Par exemple chez Ryanair (la compagnie que tout le monde adore détester), les pilotes ne travaillent que de jour, sur un rythme de 5 jours en vol puis 4 jours de repos. Apparemment, l’équipage de l’AH5017 avait volé 7 jours de suite et notamment sur des vols de nuits.
Pour un voyage en toute sécurité, continuez donc à choisir l’avion à tout autre moyen de transport. Soyez patients, une enquête prend toujours du temps car il ne s’agit pas uniquement de trouver la cause de l’accident mais aussi de désigner les responsables. Prenez du recul, ce drame ne change absolument rien à la fiabilité extrême du voyage que vous pourrez réaliser, quelle qu’en soit la destination.
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Ajout du 07/08 suite à la conférence de presse du BEA
Cette conférence de presse n’apporte pas de réponse définitive, mais a permis d’exclure un certain nombres de scénarios. L’avion a bien contourné la masse nuageuse sans la pénétrer. Il a ensuite ralenti progressivement avant d’entamer une descente en spirale qui ressemble fort à un virage engagé. Un décrochage initial pourrait potentiellement avoir cette conséquence, restera à déterminer ce qui a provoqué cette situation.
Une seconde avant l’impact, l’avion se trouvait à 480 m d’altitude, c’est-à-dire qu’il était à plus de 1000 km/h en arrivant au sol. Comme nous le pensions, nous ne sommes donc pas dans le cadre d’un décrochage jusqu’au sol.
Il aurait fallu avoir plus d’informations sur l’incidence de l’avion (en descente, à plat, en virage ?) ou sur les composantes de vitesse initiale (vitesse horizontale et verticale), mais les journaliste présents se sont concentrés sur l’expérience du pilote ou la hauteur des nuages qui avaient été évités… des questions sans aucun intérêt lorsque l’on a ces premières réponses !
La prochaine étape aura lieu à la mi-septembre, un mois après le crash, pour un rapport plus détaillé. En attendant, plus de 150 millions de personnes ont déja pris l’avion depuis cet accident, et les conditions de sécurité restent optimales, voire même améliorées par des principes de précaution encore plus stricts, comme l’évitement encore plus large de zones nuageuses, même si elles ne présentent pas de risque… Cela a à mon sens une conséquence négative : donner l’impression que la météo peut représenter un risque, alors qu’encore une fois, il n’en est rien.
@OlivierRimmel, c’est un twitteriste professionnel? Impressionnant, le flot…
Sur le reste, votre article reste tout de même un peu en mode « pas de souci »: Sans aller jusqu’aux théories complotistes fumeuses, ce crash pose question. Et cette question c’est celle d’une volonté humaine qui l’aurait mis par terre au vu du seul autre exemple comparable disponible.
A moins que depuis que certains ont réussi à dégringoler de 10km sans se rendre compte qu’ils étaient décrochés avec un avion pourtant en parfait état, n’ayant subi qu’une perte temporaire d’indications anémométriques, les formations sur la base de ce retex n’aient conduit un équipage à pousser autant que d’autres avaient il y a quelques années tiré?
Mais j’ai un doute, tenter le mur du son en md83 ne doit pas passer inaperçu même si, honorable descendant du dc-9, on se rappelle qu’un autre Douglas (le dc-8) avait eu son heure de célébrité pour avoir involontairement poussé un test jusque là au début des années 60! Comme quoi même cela ne finirait pas forcément si mal avec « de l’eau sous la quille »?
La principale crainte objective aujourd’hui sur la sécurité des vols, c’est un niveau de bordel mondial en hausse depuis déjà quelques années et qui accélère notablement depuis quelques mois.
Les zones de tension en Asie, Proche/Moyen-Orient, désormais aux portes de l’Europe m’incitent moins à l’optimisme que vous hélas: Entre bavures de guerre, frictions quotidiennes en zones contestées et terrorisme…