Comment une compagnie peut-elle proposer un vol transatlantique à moins de 100€ ?

La compagnie islandaise Wow va offrir des voyages transatlantiques à 100 dollars. Comment un tel prix est-il possible tout en garantissant un niveau de sécurité optimal ?

Extrait d’une interview pour le site Atlantico disponible en intégralité en cliquant ici

Atlantico.fr : La compagnie islandaise Wow Air proposera à partir du mois de mars 2015 des liaisons en partance de Boston ou Washington à destination de Londres ou Copenhague à partir de 99 dollars. Quels sont les secrets de la compagnie islandaise pour proposer des tarifs low cost sur les vols transatlantiques ?

Xavier Tytelman : Un élément est déterminant pour faire baisser les prix chez Wow, une situation qui représente un avantage décisif : le positionnement géographique de l’Islande à mi chemin entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Je m’explique : plus un avion doit voyager loin, plus il doit prendre de kérosène et donc plus est lourd, et un avion lourd est plus gourmand en carburant… Sur un vol long courrier, il faut ainsi consommer jusqu’à 400 kg de pétrole pour simplement déplacer la tonne de kérosène qui sera utilisée à la fin du voyage ! En réalisant une escale à mi distance sur la trajectoire, on peut réduire la masse de l’avion au décollage et économiser plusieurs dizaines de tonnes de carburants, ce qui représente un avantage non-négligeable à 1000€ la tonne de kérosène. C’est ce même principe de l’escale à mi-parcours qui a permis aux compagnies du Golfe comme Emirates de s’imposer vers l’Asie.

Ajoutez à cela la recette bien rodée des compagnies low cost traditionnelles et le compte y est : des aéroport secondaires dans lesquelles le coût par voyageur peut être jusqu’à 100€ inférieur (Wow reliera Boston ou Baltimore, mais pas New York), des personnels payés bien en-dessous de la concurrence (Air France paye en moyenne ses pilotes 14.000€ nets par mois !) dans un pays où les charges sociales sont sans rapport avec l’Europe continentale, un réseau commercial qui se limite à un site web, une flotte optimisée avec un nombre limité de modèles d’appareils (donc moins de spécialités techniques différentes), un taux de rotation élevé (les avions passent moins de temps au sol à attendre le vol suivant), et bien sur tous les petits services de bord auxquels on est habitué et qui ne sont plus compris.

Ces prix avantageux se font-ils au détriment du service ? Quels sont les services qui ne sont pas compris dans le billet et qui risquent de faite augmenter la facture pour les passagers (bagages, attribution d’un siège, enfants non accompagnés, etc.) ?

Le grand perdant dans l’histoire est clairement le confort du passager. La liste des services qui disparaissent dans une compagnie low cost comme Wow est longue. On pourrait citer les repas payants, des sièges plus serrés, pas de journaux « gratuits » à l’entrée de l’avion (Air France dépense des dizaines de millions d’euros chaque année pour « offrir » ce plaisir à ses voyageurs), l’accompagnement des enfants voyageant seul n’est même pas en option, le choix du siège se fait au prix fort (et les meilleures places seront les plus chères), et les bagages sont payants, y compris en cabine à partir de 5kg !

Mais ne vous y trompez pas, payer pour un bagage n’est pas qu’une façon d’extorquer quelques dizaines d’euros supplémentaires aux passagers. Dans ces conditions, les voyageurs deviennent plus attentifs à ce qu’ils emportent, se limitant souvent à un bagage à main plus léger. Il y a alors moins de personnels pour enregistrer les voyageurs et manipuler les bagages, les avions sont ensuite plus légers donc plus économes en carburants… A l’inverse, les voyageurs qui choisissent malgré tout d’emporter un bagage de soute font gagner un milliard d’euros chaque année à Ryanair et Easyjet alors que cela représente uniquement un coût supplémentaire pour les compagnies classiques. Un double avantage donc !

A quelle échéance faut-il réserver pour s’assurer de ces tarifs préférentiels ? En dehors de ces délais les tarifs sont-ils toujours aussi avantageux ?

Il faut être clair : les tarifs affichés ne sont que des prix d’appel possibles à des dates limitées et offerts aux premiers acheteurs. Comme dans toutes les compagnies, plus l’avion se remplira plus les billets deviendront onéreux. Le coût moyen du billet sera donc bien supérieur à ce tarif même s’il restera bien inférieur à ce que proposent les majors du secteur.

Dans quelle mesure ces tarifs sont rendus possibles grâce à l’amélioration de la performance des avions ?

Les nouveaux avions comme le Boeing B787 et l’Airbus A350, ainsi que les versions remotorisées des familles A320 et B737 permettent de réaliser des économies de carburant de plus de 20% par rapport aux modèles précédents tout en réduisant les frais de maintenance.

Wow n’a pas encore précisé sur quel type d’appareil il réaliserait ses vols transatlantique, mais les rumeurs évoquent plutôt des Boeing B757 ou des Airbus A321, des avions monocouloirs moyens courriers. Une fois de plus, c’est l’escale en Islande qui fait la différence : toutes les autres compagnies doivent acquérir des avions long-courriers pour traverser l’Atlantique, alors que les deux vols vers et depuis l’Islande seront bien plus courts.

Comment expliquer qu’un vol Boston/Londres en septembre 2015 ne coûte que 99 dollars alors que la Londres/Boston une semaine plus tard soit trois plus cher ?

Il s’agit bien de la stratégie commerciale de la compagnie : afficher des tarifs imbattables pour attirer les voyageurs, mais au final il n’y aura que peu de dates pour lesquelles les tarifs les plus bas seront possibles.

Quid de la sécurité sur ces vols ?

S’il y a bien un domaine dans lequel il n’y a aucune différence, il s’agit de la maintenance des appareils, de la formation des pilotes et de l’emport de carburant. Toutes les compagnies, low cost ou pas, n’ont pas d’autre choix que de se plier aux exigences internationales et aux préconisations des constructeurs. Les contrôles aléatoires sont tellement nombreux que personne n’oserait tenter de s’écarter du droit chemin, d’autant que les conséquences en cas de contrôle négatif sont d’une sévérité exemplaire, comme l’inscription sur les listes noires… cela impliquerait une interdiction de vol dans l’espace aérien européen, et donc la faillite ! Ce n’est donc pas la question de la sécurité qui doit guider le choix des voyageurs, celle-ci est toujours optimale, mais bien la volonté de choisir parmi des niveaux de confort qui n’ont rien à voir.

À propos de Xavier Tytelman

Ancien aviateur militaire aujourd'hui consultant sur les questions aéronautiques. Responsable et formateur au Centre de Traitement de la Peur de l'Avion (www.peuravion.fr). Tel : +33667484745
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4 réponses à Comment une compagnie peut-elle proposer un vol transatlantique à moins de 100€ ?

  1. lym dit :

    Sur le dernier point, le plus problématique, on pourra toutefois objecter les confidences d’un pilote de Ryanair et de son livre sur le sujet général du low cost et qui mentionne les problèmes de sécurité qui sont bel et bien induits par ce modèle économique: A force de tirer sur la corde et d’être au plus près des limites, des fois on les dépasse en résumé.

    D’ailleurs, Ryanair s’est fait renvoyer dans les cordes judiciaires il y a peu a ce sujet!
    https://www.facebook.com/121531411251230/photos/pb.121531411251230.-2207520000.1414565929./764465133624518/?type=1&theater

    • Xavier dit :

      Il ne faut pas nier qu’il y ait des contournements plus ou moins volontaires de réglementations dans les compagnies, mais je ne crois pas :
      1) que ce soit un phénomène spécifique aux low cost, d’autant que ce sont presque les seules dont le modèle soit rentable,
      2) que ces dérives soient nombreuses,
      3) que, si dérive il y a, elles aient un réel impact sur la sécurité des vols. Il est bien loin le temps où un B747 de British Airways traversait légalement et sans risque l’Atlantique Nord sur seulement 3 moteurs sans que personne ne s’en émeuve… c’était en 2005 !!

      A l’inverse, la progression des contrôles et la capacité des avions à émettre des alarmes (système de communication ACARS) sans que le pilote ou la compagnie puisse les empêcher rend l’application des textes encore plus draconienne.
      D’après JC Meunier, le pilote qui a créé le CTPA avec nous et pilote chez Ryanair depuis plusieurs années, ce livre comportait des erreurs techniques qui, d’après lui, prouvaient que l’auteur ne faisait pas partie de la compagnie… je ne jugerai pas, je ne l’ai pas lu…

  2. Nicolas dit :

    « que, si dérive il y a, elles aient un réel impact sur la sécurité des vols » ??? Atterrir en urgence et perturber l’ensemble du trafic pour une insuffisance de fuel n’a pas de réel impact sur la sécurité des vols. Vous rigolez, non seulement cela impact les autres trafic, mais aussi sur le contrôle, la sécurité de l’ensemble des passagers est mise en cause. A vous lire on croirai avoir a faire avec le PDG de ryanair !!!!

    • Xavier dit :

      Bonjour, je pense que vous faites allusion à l’atterrissage « short petrole » des avions Ryanair à Valence en 2012 ? Si c’est le cas, vous faites erreur : les avions avaient bien la quantité de pétrole réglementaire, ils ont volé plus de 2h au dela de ce qui était prévu pour le trajet initial vers Madrid avant de changer d’aéroport (voir cet article pour le détail http://www.peuravion.fr/blog/2012/12/nouvelle-polemique-pour-ryanair-et-le-petrole/). Pas de manquement de la part de RYR donc, et je remarque que lorsqu’un avion Air France n’a pas pu se poser à Beyrouth en raison d’émeutes sur l’aéroport, puisqu’il a du se poser short petrole en Syrie après 2h d’attente, les réactions des médias ont été bien moins vindicatives.
      Donc pour être clair : il n’y a pas de problème d’emport trop faible de pétrole sur les avions de ligne, quelle que soit la compagnie il y a toujours au moins 2 de pétrole de trop par rapport à la trajectoire réalisée, 3h si l’aéroport est isolé.

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