Panne moteur, vol sans visibilité… comment un pilote réagit-il à une situation de stress ?

Simulateur de vol de Boeing 737 sur vérins agréé par la DGAC sur lequel le CTPA organise des stages contre la peur de l'avion

Simulateur de vol de Boeing 737 sur vérins (reproduisant les mouvements de l’avion) agréé par la DGAC, sur lequel les pilotes sont testés et à bord duquel le CTPA organise des stages contre la peur de l’avion

Quand certains passagers se crispent au moindre bruit et à chaque virage, comment les pilotes réagissent-ils face à une situation stressante ? Une équipe de chercheurs a étudié cette question au cours des séances de simulateur de vol que les pilotes doivent réaliser tous les six mois pour garder leurs qualifications et avoir le droit de continuer à piloter des avions de lignes. Ces simulateurs sont l’occasion de reproduire toutes les pires situations imaginables…

Article rédigé par Alexis Ruffault, doctorant en psychologie et membre de l’équipe de recherche du Centre de Traitement de la Peur de l’Avion.

Accroche

Une équipe de chercheurs britanniques a récemment publié une étude scientifique dans une revue internationale, revue dans laquelle le travail des chercheurs est évalué par des pairs (c’est le principe du peer-review). Dans cette étude, les auteurs ont cherché a comprendre les réactions de pilotes d’avions face a des situations de vol stressantes en simulateur.

 Explication

Dans leur quotidien, les pilotes peuvent être confrontés à des situations difficiles à gérer, comme par exemple une baisse de la puissance des moteurs, un atterrissage avec un vent contraignant, etc… Face à ces situations difficiles, les pilotes ont la lourde responsabilité de garder leur sang froid pour agir d’une manière permettant de maintenir une sécurité totale pour l’avion et ses passagers. En effet, lorsque les pannes mécaniques surviennent, c’est à l’Homme de réussir à éviter l’accident. C’est ce qui a amené Samuel Vine et ses collègue à mener une étude sur les réactions des pilotes face à des situations stressantes en vol.

 Méthode

Participants. 16 pilotes actifs et qualifiés (dont 2 femmes) ont été recrutés au sein d’une compagnie aérienne commerciale britannique. Ces pilotes ont été sélectionnés aléatoirement pour participer à l’étude, et se sont entretenus avec un instructeur qui ne connaissait pas les buts de cette recherche.

Tâche. Les pilotes ont fait un vol dans un simulateur (Bombardier Dash-8 Q400) dans le cadre d’une évaluation officielle de leurs capacités, ce qui représente une expérience stressante. Ce type de séances a lieu au minimum tous les six mois, et les pires scenarii sont mis en œuvre pour pousser les pilotes dans leurs retranchements.

Scenario. Les pilotes devaient faire les vérifications pré-vol, puis un décollage. L’appareil était programmé pour simuler une panne du moteur gauche au moment où les trains d’atterrissage étaient rentrés. À basse altitude, faible portée, et avec un temps limité pour réagir, une situation particulièrement stressante. Le pilotes devait gérer cette situation et poser l’avion.

Mesures. Pour savoir si les pilotes trouvent la situation difficiles et s’ils pensent avoir les ressources pour y répondre, les chercheurs ont interrogé les pilotes sur ce sujet. Les stratégies visuelles des pilotes ont par ailleurs été enregistrées avec un Eye-Tracker (des lunettes qui filment les mouvements des yeux, ainsi que le champ de vision des pilotes pour déterminer l’endroit exact où ils regardent) pour savoir si les pilotes regardent par les fenêtres du cockpit ou leurs instruments. D’autre part, la performance des pilotes a été évaluée de deux manières : (1) en prenant l’avis d’un instructeur expérimenté et qui ne connait pas les buts de l’étude, et (2) en récoltant les données d’inclinaison, de vitesse, et d’autres paramètres enregistrés par le logiciel du simulateur.

 Principaux résultats

Les analyses statistiques des résultats obtenus montrent que l’évaluation des demandes de la situation et des capacités des pilotes prédit positivement la performance des pilotes. En d’autres termes, plus les pilotes pensent que la situation est difficile et pensent avoir les ressources nécessaires pour réussir, plus ils ont de chances d’atterrir en toute sécurité, alors qu’il s’agit de la pire situation imaginable pour un pilote. Les auteurs ont montré que ces résultats sont visibles quel que soit l’âge et l’expérience des pilotes.

De plus, les résultats montrent que l’évaluation des demandes de la situation et des capacités des pilotes prédit négativement le pourcentage de regards vers des stimuli inadéquats (par exemple, regarder les instruments à l’intérieur du cockpit est inadéquat puisque le co-pilote se charge de cette partie, alors que regarder par la fenêtre du cockpit est adéquat). En d’autres termes, plus les pilotes sont confiants en leurs capacités à gérer la situation, et plus ils orienteront leur regard précisément vers des sources d’information pertinentes et utiles à la réussite de l’atterrissage.

Conclusion des auteurs

Les résultats montrent que les réactions individuelles au stress influencent la performance.

Notre conclusion

Même si les pilotes sont confrontés à des situations de vol difficiles à gérer, ils ont les capacités techniques pour réussir à poser un avion sur lequel un moteur est en panne à basse altitude le jour de leur évaluation technique. Mais qu’en est-il des capacités psychologiques ? Les résultats nous disent que les pilotes confiants gèrent mieux que ceux qui doutent en leurs capacités, et que cette réussite passe par une sélection des zones pertinentes à observer.

Cette interprétation des résultats ne remet pas en question la capacité des pilotes à gérer une situation stressante, d’autant que les situations extrêmes vécues par les pilotes en vol montrent qu’ils ont toujours la ressource pour faire face et agir d’une manière idéale. Une panne de tous les moteurs, la perte des commandes ou la traversée d’un cumulonimbus, des situations qui existaient « fréquemment » il y a quelques décennies, ont presque toujours eu des aboutissements heureux (précision : seulement 1/4 des pilotes partant aujourd’hui à la retraite après plus de 40 ans de voyages a connu, une fois dans sa carrière, une simple panne de moteur sans gravité). Rappelons que les pilotes sont soumis à des tests de manière systématique, récurrente et exigeante. Les avions sont ainsi conçus pour affronter toutes les situations imaginables.

Référence de l’article : Vine, S.J., Uiga, L., Lavric, A., Moore, L.J., Tsaneva-Atanasova, K., & Wilson, M.R. (2014). Individual reactions to stress predict performance during a critical aviation incident. Anxiety, Stress, and Coping. DOI: 10.1080/10615806.2014.986722

(lien vers l’article : http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10615806.2014.986722)

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Une réponse à Panne moteur, vol sans visibilité… comment un pilote réagit-il à une situation de stress ?

  1. yann dit :

    Il n’est pas étonnant qu’une situation perçue comme difficile (mais réaliste, afin d’être vraiment prise au sérieux, surtout en simulateur) mobilise au mieux les capacités du pilote quel qu’il soit. L’homéostasie du risque, cela s’appelle.

    Près du sol avec le besoin d’une puissance max et une vitesse a peine suffisante pour voler et des repères extérieurs présents, on est ici dans un cadre idéal pour la démonstration. Celui qui n’a pas le nez dehors tant qu’il n’y a pas un mininum « d’eau sous la quille » devrait même se voir retirer la licence sur le champ.

    Maintenant, il y a certainement des progrès à faire pour que le danger soit aussi concrètement perçu par un équipage avec un avion sans aucune défaillance qui palabre avec le copi tirant sur le manche pendant 10km de chute libre au dessus de l’atlantique. Si possible avant que le radio-altimètre ne sonne le tocsin des 3000Ft.

    Il y a pourtant des chances de survie bien moindres que de retoucher une piste à la vitesse de rotation et de se retrouver vautré au bout sur la plupart des terrains.

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